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Dimanche 5 février
Eglises de l'UNESCO et villages polonais
Après une nuit de voyage, nous sommes réveillés 20 minutes avant l'arrivée à Vama, notre destination, à 5h45. Il n'y a pas d'annonce. Alors à nous de nous tenir prêts et de savoir quand le train est arrêté. Ce n'est pas évident. Il est très légèrement en retard mais sachant les conditions d'enneigement c'est formidable parce qu'en France, on aurait vécu un nouveau Strasbourg-Port Bou. Autre surprise : la porte donnant accès à l'extérieur est totalement givrée et glacée sur quelques centimètres d'épaisseur, il a dû faire bien froid cette nuit !
Nous descendons sur un quai peu éclairé et couvert de neige. Nous avons trois minutes maximum. Ca permet de se réveiller rapidement. Sans transition, nous rentrons dans le congélateur. Pas de doute il fonctionne. C'est celui-là que je voulais. Maintenant le voilà. Plus qu'à apprendre à le maîtriser. Sur le "parking" de la gare, une fourgonnette nous attend et à son bord Mihai, notre chauffeur. Pour des raisons médicales, il est obligé de fortement chauffer son véhicule. C'est ce que j'appelle une rencontre chaleur-euse. Nous quittons donc le congél' România pour le sauna, mais ça fait plutôt du bien. On nous conduit dans une pension gérée par un très jeune couple pour un petit déjeuner, une toilette et une adaptation de la tenue vestimentaire.
La pension est au sommet d'une colline. L'enneigement empêche notre camion de monter. Le chauffeur appelle donc les tenanciers de la pension pour qu'ils viennent chercher les bagages avec leur voiture. Dans le même temps, nous décidons de grimper à pied pour se dégourdir les jambes.
Nous arrivons dans une mignonne chambre d'hôtes qui a été totalement restaurée avec goût par leurs jeunes propriétaires. Elle accueille aujourd'hui les touristes surtout pendant la période estivale. C'était sans compter sur nous qui faisons les choses à l'envers. Le petit déjeuner est impressionnant en quantité. Presque un repas : avec la viande, la charcuterie, les oeufs, la ratatouille ... Ah la ratatouille roumaine du petit déjeuner ! Vous l'aurez compris, la table est recouverte de mets délicats qui enchantent les sens de bon matin. Mais j'arrête de parler de bouffe parce que vous allez finir par me croire à tort obsédé de ce sujet. Parlons tricot plutôt. Quoique je n'ai pas grand-chose à dire... Comparaison des marques de dentifrices ? Qui a dit "barbant" ? ... De curling ? Mais je n'y connais presque rien ! C'est sûr que ça ne vous dit pas les recettes de cuisine parce que j'en ai une petite de pancakes à la banane ... C'est bon j'arrête !
Revigorés et mieux vêtus, nous quittons Mihaela et son mari pour visiter les premiers monastères à fresques extérieures de notre parcours. Ceux-ci sont représentatifs de cette région de la Roumanie et ont été classés au Patrimoine Mondial par l'UNESCO. Pour ce faire, nous redescendons la colline à pied, cette fois de plein jour avec la vue sur le village en contrebas.
Après un nouveau tour dans le véhicule bien chauffé, nous arrivons à pied d'oeuvre si je peux me permettre un léger jeu de mots : le monastère de Voroneț. Quelques marchands de souvenirs attendent patiemment sur le parking l'arrivée d'improbables touristes. C'est nous !!! Mais manque de chance pour eux, nous sommes plus intéressés par la haute muraille d'enceinte que par les articles qu'ils proposent. Franchissant la porte, nous avons de suite en face de nous un des joyaux de l'architecture de la région. Réfléchissez combien de monastères, d'églises ou d'autres lieux de culte peints à l'extérieur vous avez déjà vus. Et en ce moment, il y en a un devant mes yeux ! Plus beau que les catalogues surtout avec le tapis neigeux et ces morceaux de "coton" tombant du ciel.
Mais pour nous faire languir, Luminița nous conduit d'abord dans une église toute en bois sur la gauche qui sert l'hiver. Lorsque la température intérieure du monastère est trop froide, les offices ont lieu dans ce sanctuaire de substitution qui est lui chauffé.
S'élèvent à l'extérieur des chants de femmes provenant de sa direction : la chorale des soeurs. Nous pénétrons dans le bâtiment et mes lunettes sont obscurcies instantanément par un voile de condensation. Dedans, un office est en cours, l'occasion pour moi de commencer à présenter de nombreux fondements de la religion orthodoxe.
La religion orthodoxe
Commençons par la structure générale d'un sanctuaire : il comprend de 3 à 5 chambres ou pièces la plupart du temps. A minima, le pronaos initialement réservé aux femmes s'ouvre sur le naos où se massent les hommes et le tout se termine par l'iconostase derrière laquelle le prêtre officie dans le sanctuaire. D'autres fois, il y a des salles supplémentaires comme la chambre des tombeaux et un exonarthex. L'intérieur est décoré d'icônes mais en aucun cas de statue. C'est ainsi un débordement remarquable de fresques et autres représentations souvent dorées telle la pièce où nous nous trouvons actuellement. Il n'y a pas de siège ou très peu près des murs car cela rendrait oisif et moins attentif au message divin. Les fidèles restent donc debout ou parfois accroupis.
En entrant dans l'église, le croyant en fait d'abord le tour dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, s'arrête régulièrement pour se signer devant les icônes avant de les embrasser puis gagne sa place.
La durée de l'office varie fortement : de 1h pour la prière du soir à 3 ou 4h pour la cérémonie complète comme le dimanche (aujourd'hui) ou les fêtes. Mais les fidèles ne restent pas tous, tout ce temps : il y a un va-et-vient et le carillon des cloches signale les différents moments de la liturgie. Le prêtre parle beaucoup, souvent derrière l'iconostase. Parfois, il vient au milieu des fidèles. A d'autres moments, placé derrière l'iconostase, il tire un rideau, disparaissant de la vue des fidèles. L'arrière de cette cloison sacrée représente en effet le temps de l'office le Paradis inaccessible aux croyants. En dehors de ces célébrations, l'accès peut être toléré pour les hommes (par exemple pour un baptême) mais surtout pas aux femmes puisqu'il leur est interdit d'officier. Durant la cérémonie, chacun se signe quand il le souhaite mais de façon légèrement différente des catholiques : à 3 doigts (pouce, index et majeur tendus et se touchant pour figurer la Trinité, annulaire et auriculaire repliés dans la paume de la main) touchant dans l'ordre front, poitrine, épaule droite puis épaule gauche. Il n'y a pas d'orgue ni d'instrument et les chants sont facultatifs donc plutôt entonnés par la chorale. Lors de la communion, l'hostie des catholiques est remplacée par du pain. La messe se termine dans sa version longue par un prêche de 30 à 40 minutes. Lors de Pâques, la messe se tient de minuit à 4h du matin. Le patriarche transmet aux évêques le feu puis ceux-ci le diffusent à leur tour aux fidèles pour symboliser l'arrivée de la lumière de Jérusalem. A la fin de la messe, un pot est rempli de pain et un de vin puis ils sont bénis pour consommation durant la semaine suivante.
Les orthodoxes comme les catholiques ont connu différentes réformes. L'une d'elles a séparé les orthodoxes actuels des Lipovènes ou Vieux-croyants qui continuent d'appliquer les anciens rites d'avant le Patriarche Nikon. Ils partirent de Russie où ils étaient persécutés et s'établirent en Ukraine ou Roumanie. Ils portent une tenue stricte et une longue barbe, ont leur propre mode de vie et vivent isolés dans de petites communautés. Ils sont plutôt hostiles aux avancées technologiques. Vassili Peskov a écrit un remarquable livre sur une famille russe de cette communauté : Ermites dans la taïga, où il décrit précisément la découverte et le quotidien d'Agafia et des siens. Mais aujourd'hui, ce groupe doit faire face à un début de dissolution de son identité car les jeunes qui vont à l'école ont du mal à résister aux sirènes de la ville, à tolérer l'austérité dans laquelle ils vivent et ne portent déjà plus la barbe traditionnelle.
Concernant le clergé, il faut préciser que les prêtres ont la possibilité de se marier s'ils n'ont pas l'ambition de trop monter dans la hiérarchie religieuse. Ils bénéficient également d'une rémunération provenant de l'Etat. En revanche, les moines vivent de dons et sont exemptés de taxe. Cela leur a parfois permis de vite s'enrichir par la vente du produit de quelques travaux manuels. Certains gèrent à présent des maisons d'hôtes pour lesquelles ils sont en théorie assujettis à l'impôt alors ils demandent parfois de payer en espèces ... (il s'agit de quelques cas, je ne généralise pas). L'Eglise prélève des taxes chaque année par exemple pour l'entretien des sanctuaires mais est également rémunérée pour les principaux rites marquants la vie des croyants : baptême, mariage, enterrement ou messe en mémoire du défunt. Et il est arrivé que certaines familles très pauvres se voient refuser une inhumation car incapables de payer. De manière plus générale, les gens donnent beaucoup à l'église depuis la révolution qui a mis fin au communisme. Cette tendance se poursuivra-t-elle à long terme ?
[Fin du chapitre sur la présentation de la religion]
Le prêtre disparaît derrière un rideau et nous derrière la porte d'entrée pour aller visiter le clou du spectacle : le monastère peint. Il a été édifié en 1488, en 3 mois et 3 semaines, par Stefan Cel Mare alias Etienne le Grand, fameux prince Moldave de cette région pour sa résistance face aux Turcs. La légende raconte que le monastère est né de la rencontre et de la confession de ce haut personnage auprès d'un moine appelé Daniel. Stefan Cel Mare demanda au religieux s'il devait prêter allégeance aux Turcs ou lutter contre leur invasion. L'homme lui répondit qu'il fallait se battre, remporter la victoire puis revenir construire un monastère dédié à St Georges. Le prince aura au cours de sa vie prit part à 36 batailles, en sera sorti victorieux à 34 reprises construisant à chaque fois un nouveau monastère. Les fresques extérieures furent rajoutées par un métropolite sous le règne du fils de Stefan Cel Mare : Petru Rareş. Elles ont grandement contribué à l'appellation du monastère de "chapelle Sixtine de l'Orient". A chaque monastère est associée une couleur dominante, celle de Voroneț est le bleu Voroneț dont la renommée est paraît-il immense y compris au-delà des frontières.
Nous commençons par l'extérieur et la façade est où sont peintes les hiérarchies céleste et terrestre que l'on appelle aussi "Procession de tous les saints". C'est une constante dans tous les monastères mais elle est plus ou moins étoffée de l'un à l'autre. Tout en haut se trouve Dieu, au centre, entouré d'archanges avec un X. Dans la frise en-dessous représentant une tête entourée de deux paires d'ailes, ce sont les chérubins et les séraphins. Puis commence la hiérarchie terrestre : en-dessous de Dieu, on trouve Marie assise sur un trône avec Jésus et entourée de deux archanges. Encore au-dessous : Jésus dans un berceau. De part et d'autre, et de haut en bas : les prophètes, les apôtres, les grands prêtres et enfin les martyrs qui tiennent tous une croix dans la main.
Si je continue par la façade sud, on trouve à l'issue de la Procession de tous les saints, une immense fresque composée de plein de "vignettes" et délimitée par deux frises verticales. Celles-ci représentent des philosophes et on peut reconnaître dans celle de droite, dans le second personnage en partant du bas, Platon dont la tête est toujours surmontée d'un cercueil. Au centre de la fresque, il y a une série de personnages alignés verticalement et se terminant, en bas, par un homme couché : c'est l'arbre de Jessé (ou Isaïe) ou la généalogie de Jésus. Selon un passage du livre de ce prophète : "puis un rameau sortira du tronc d'Isaïe, et un rejeton naîtra de ces racines". On voit donc les racines partir de ce corps allongé, puis se superposer les personnages de St Pierre en bas à Marie puis Jésus en haut. Quant aux scènes qui entourent cet arbre, elles représentent des épisodes de l'Ancien et du Nouveau Testaments. On repérera par exemple la Nativité en haut et à droite de la fenêtre sur fond jaune.
Autour de la porte, des tableaux peignant la vie de St Nicolas et celle d'un saint local (St Jean le Jeune de Suceava) plus des fresques de St Georges transperçant le dragon.
La plus belle fresque est à l'ouest : le Jugement Dernier, un thème récurrent dans les églises orthodoxes et donc dans nos visites.
Tout en haut, dans un médaillon au centre, Dieu. Et aux extrémités de cette même ligne deux archanges armés. Entre eux, les 12 signes du zodiaque font office de mesure du temps. Dieu donne le pouvoir à son fils Jésus qui est positionné au-dessous. A sa gauche (sur la photo) Marie et à sa droite Jean-Baptiste. Les 12 apôtres sont sur la même ligne. Sur la troisième bande et directement sous le Christ une blanche colombe siégeant sur un trône doit être assimilée au Saint-Esprit, le dernier membre de la Trinité. A ses côtés, Adam sur la gauche et Eve sur la droite. Du côté d'Adam, St Paul montrant à 4 groupes d'individus la voie des Justes menant au Paradis. Du côté d'Eve, Moïse brandissant les Tables de la Loi est suivi de plusieurs groupes de pécheurs dont les pharisiens, les turcs, les polonais et les tatars. Du dessous du trône du Saint-Esprit part une main tenant la balance servant à la pesée des âmes. Les anges ont chargé la balance des bonnes actions et transpercent les démons qui déposent dans l'autre plateau de mauvaises actions et des péchés. Quelques démons entraînent des damnés enchaînés vers l'enfer. A l'étage inférieur et en allant de la gauche vers la droite, celui qui porte la croix est le bon larron, crucifié à la droite du Christ et qui a été sauvé. Non loin de lui, la Vierge. Le fond blanc indique le Paradis. Au centre, entre la porte et la muraille en quart de cercle, St Pierre tient la clé donnant l'accès au Paradis. Juste derrière la muraille, un ange est couché au-dessus d'une personne morte. Un petit personnage jaune sort de la bouche de celle-ci : il s'agit de son âme. En diagonale sur la même scène, un ange transperce un autre corps que des démons entraînent vers les flammes de l'enfer. La longue coulée rouge dévalant toute la fresque figure justement l'enfer peuplé du Diable. Enfin, à droite de cette coulée et sous les groupes honnis accompagnant Moïse, il y a un ange soufflant dans une trompe pour annoncer l'Apocalypse. Les morts ressuscitent et sortent de leurs tombes, les animaux recrachent des membres humains ... Le Jugement Dernier est arrivé !
Pour en finir, la façade nord est la plus endommagée par les conditions météorologiques : une partie non négligeable des fresques a disparu. On devine cependant quelques épisodes : en haut sur fond blanc la Genèse et le péché originel; au-dessous l'acathiste de la Vierge.
L'intérieur ne peut jamais être photographié cependant il est également tout aussi riche en fresques. L'exonarthex où l'on se trouve en entrant contient un calendrier : les 365 jours sont chacun représentés au travers du martyr de leur saint (décapitation, bûcher, pendaison ...). Le mur comprend 12 lignes, chacune correspondant à un mois. La plus en haut est septembre et la plus en bas, août. Au milieu des mois sont représentés les signes du zodiaque. Le pronaos est consacré à l'Adoration de la Vierge. Dans le naos se bousculent les représentations notamment la Passion et une fresque où l'on voit Stefan Cel Mare remettre son église au Christ. L'iconostase, un mur d'icônes surmonté par un Christ en croix, empêche l'accès à la partie la plus sacrée de l'église.
[REPRISE DE LA DESCRIPTION DE LA JOURNEE]
Dès lors que l'on s'immobilise à l'extérieur ou même à l'intérieur du monastère glacial, les extrémités commencent à se glacer à toute vitesse. Voilà comment devenir un pro de la claquette sans même en avoir pratiqué une seule fois. Si je tape des pieds au sol, ce n'est pas que j'ai le "rythme dans la peau" mais plutôt que j'essaie de garder en vie mes dix doigts de pieds. En dehors de cela, la visite était immensément instructive, la preuve en est les longs paragraphes précédents qui tentent de retranscrire l'intégralité des propos de Luminița.
Nous reprenons le véhicule pour quelques kilomètres et nous dirigeons vers le second monastère : celui de Humor. Son enceinte fortifiée est en bien moins bon état que celle de notre visite précédente. Par contre, une tour de guet a résisté au temps et aux attaques et fait office depuis bien longtemps de clocher.
Le monastère a été édifié en 1530 par un noble. Cela explique que contrairement à Voroneț il n'ait pas eu le droit d'ajouter une tour sur le toit.
La couleur dominante ici est l'ocre rouge. Les représentations sont pour la plupart identiques à celles de tout à l'heure. Sur la façade ouest, sous le portique où se trouve l'entrée, le Jugement Dernier a partiellement été effacé. La face est, à l'opposé, met en évidence la hiérarchie des archanges aux martyrs sauf qu'elle comprend un niveau de plus : les moines tout en bas.
Le mur nord a été totalement endommagé par la pluie et la neige. En fait, la seule partie vraiment bien conservée est la sud. Tout en haut dans les niches, la Vierge tenant Jésus est entourée des apôtres. Entre chacun d'eux, les chérubins et les séraphins. Au-dessous, le pilier du portail d'entrée représente les saints guerriers (Georges, Dimitri et Nestor), la partie gauche du mur est l'acathiste à la Vierge tandis que la partie droite est consacrée aux principaux épisodes de la vie de St Nicolas. La principale nouveauté se trouve tout en bas et illustre le siège de Constantinople par les Perses en 626 qui s'est soldé par la victoire des Byzantins (chrétiens). Selon la légende, le brouillard s'est levé et les Perses bien que supérieurs en nombre au départ, ont commencé à s'entretuer car ne se reconnaissaient plus dans l'épais voile. Constantinople était sauvée. L'auteur de cette fresque a dans le même temps voulu établir un parallèle avec le siège de Suceava par les Turcs pour inciter les habitants à poursuivre la lutte et espérer à nouveau une aide divine.
L'office étant en cours dans l'église moderne d'à côté, le monastère est fermé et nous n'avons pas vu l'intérieur qui présente toutefois la même configuration que décrite plus tôt.
Nous allons jeter un rapide coup d'oeil à l'église d'à côté et à la cérémonie. Les femmes sont toutes sur la gauche, les hommes sur la droite. Ça fait bizarre ... Le principal officiant se cache derrière le rideau, un autre sort par une porte latérale de l'iconostase donnant sur la sacristie. La synchronisation est parfaite et on pourrait presque croire à un numéro de prestidigitation.
Mayday, mayday, allo Vama ? On a un problème. Les doigts de pieds ne répondent plus. La température de -11°C -pourtant supportable par ailleurs- a eu raison de près de 40 doigts de pieds. Ne vous en faites pas, je ne suis pas un extraterrestre (quoi qu'on se le demandera plus tard à notre sujet à tous), j'ai juste pris en compte tous les pieds gelés dans le groupe. Bizarrement il n'y a que la guide qui aille encore bien alors que nous jouons tous des claquettes de plus en plus fréquemment. C'est plutôt douloureux.
Les visites sont à présent terminées pour aujourd'hui et nous partons au restaurant. Il est très bien mais notre principal souci, c'est de se réchauffer les pieds au contact du carrelage. On doit bien être les premiers à dire que dans une habitation le carrelage ça réchauffe mais je vous garantis que c'est réel.
Après un cours transfert d'une heure , nous allons passer l'après-midi à marcher pour rejoindre deux villages polonais. Nous sommes déposés à un carrefour au pied de la colline où est juché le premier village : celui de Pleşa. Il n'est pas nécessaire de chausser les raquettes car la route est relativement bien dégagée et que nous allons largement l'emprunter au cours de cette marche. Les habitants de ces bourgs parlent polonais et ça fait plutôt bizarre de réutiliser le "Dzien dobry" appris il y a deux ans. Ils ont été transférés de force dans la région à la fin du XIXème siècle quand les austro-hongrois (hou les vilains !) avaient besoin de main d'oeuvre dans les mines de la région. Ils s'y sont donc établis en conservant et leur religion et leur langue en plus du roumain.
La montée est si longue que nous finissons désormais par avoir chaud. [Je pense que je vais finir par vous déstabiliser. ] Au sommet de la colline, s'élève l'église catholique du village, la seule que nous verrons. Par rapport à ce matin, les statues réapparaissent et l'orgue aussi. Par contre, la décoration fait beaucoup plus pauvre.
Je termine par une spécificité d'ici : devant chaque maison est dressée une petite cabane de bois ajourée et souvent relativement ouvragée. Il s'agit du puits parce l'eau courante n'est pas encore une réalité partout dans ce pays. Par conséquent, soit les habitants utilisent le puits normalement, soit ils ont installé une pompe qui fait la moitié du travail.
A partir du sommet de la colline, ce sont les montagnes russes avec deux belles descentes suivies de remontées aussi "longues". Et pour profiter encore plus du dépaysement et de l'authenticité, nous quittons les sentiers battus pour une piste tracée par les écoliers et les villageois dans un massif forestier formé essentiellement de sapins.
Nous quittons même un moment la trace pour descendre une colline. On pourrait facilement faire un concours de lapining avec beaucoup de fous rires à chaque chute mais je n'ai pas eu la présence d'esprit de le proposer sur le coup. Dommage ! La neige à présent atteint par endroit la moitié des mollets.
Sensation d'être à l'écart du monde et dans un monde vierge de présence humaine. Mon esprit s'évade et je ne le récupère (enfin dans la mesure où il y a quelque chose à récupérer) qu'en arrivant en vue du second village : Solonețul Nou.
On aurait été en Afrique, je m'imagine que l'on aurait été accueilli et suivi par tous les enfants du village (je n'ai jamais été en Afrique). Là, on fait davantage un bide et ce sont plutôt des chiens aboyant qui nous poursuivent. Enfin, dans la limite de leur faible courage parce que quand on se retourne et qu'on s'apprête à les courser, ils font de suite moins les fiers. Non mais qui c'est qui commande ici ? Peureux ! Lâches ! Rustres ! Oui, enfin pas vous M. le Patou des Carpates ...
Nous passons devant la future maison communale de la Pologne et notre cortège prend une autre forme : les chiens sont remplacés par les jeunes enfants qui ont transformés la côte du village en piste de luge. Nous effectuons toute la montée ensemble. Celle-ci comprend un coude à droite qui doit être dur à négocier avec la vitesse. Si c'était moi, je pense que je ferais un tout droit et terminerais ma course dans une propriété privée voire contre son mur...
Au sommet, nos chemins se séparent : les enfants s'élancent un par un, les uns la tête la première, et nous, nous descendons sur l'autre versant après leur disparition. Le vent s'est de ce côté-ci levé. La température réelle (pas la ressentie) passe à -14°C. Nous pressons donc le pas pour retrouver Mihaï à l'issue d'une ultime ascension.
La camionnette sauna prend alors le chemin d'un atelier d'artisanat où l'on travaille la céramique noire. J'apprécie que l'on nous demande auparavant notre avis et intérêt pour ce lieu, c'est un signe supplémentaire de la qualité de nos "encadrants". Mais en ce dimanche, la partie atelier est fermée.
Après quelques minutes sur place, nous réembarquons donc pour l'hébergement de ce soir. Il s'agit d'un très beau gite et d'une cuisinière attachante, Viorica, car très dévouée à ce qu'elle fait. Elle a toujours été cuisinière dans une cantine ou pour des mariages et aujourd'hui continue avec cette chambre d'hôtes où elle n'est "qu"'employée pour avoir un complément de retraite. Mais c'est en même temps la principale personne que l'on ait vue sur place. Sa passion, c'est la cuisine et elle nous choie. Et à 79 ans, elle fait dès que c'est nécessaire le trajet à pied entre son domicile et son lieu de travail soit quelques kilomètres par une température franchement négative. Chapeau et merci !!!
Le style de l'habitation est en décalage avec mes propres codes : un immense poêle en céramique sert à la fois de plaque de cuisson et de chauffage général. Ce sera le cas dans toutes les maisons que nous rencontrerons. Sur les murs sont accrochés différents tableaux pour le moins surprenants : de nombreux St Georges, protecteur de la maison, un Lénine, une assiette avec un lapin faisant la chasse à l'homme et surtout des portraits de François-Joseph, souverain très apprécié encore dans les campagnes.
Nous prenons peu après possession de nos appartements et je suis placé en quarantaine pour le reste du séjour. Alors que les autres se partagent deux chambres à 4 avec la guide, j'ai une modeste pièce de 80m² minimum en bas pour moi tout seul et une salle de bain d'au moins 20m². Je suis à deux doigts de m'égarer. Et pour comble de malheur, le hasard a voulu que je bénéficie de l'eau "courante" alors que les tuyauteries sont gelées en haut. Quand le sort s'acharne ... Je parle d'eau "courante" car c'est une pompe qui permet de récupérer le précieux liquide, ailleurs il faut parfois puiser. Mais cet avantage ne nous dispensera pas de prendre une douche avec un seau
De retour dans la cuisine-salle à manger, je prends en flagrant délit le chat en train de réaménager la pièce : il prend de l'élan, passe sous le tapis puis s'enroule dedans. Peu après, le dîner est servi, bon et copieux. Alors que les autres membres du groupe vont se coucher, je décide de rester un peu et de prêter main forte pour la vaisselle. Ben quoi ça ne vous a jamais manqué ? Ça me permet de me rendre compte, à défaut de les comprendre, de la jovialité des roumains présents dans la salle : Luminița, Viorica et un homme. Et je me fais pas mal taquiner pour ce coup de main. Pourtant c'est juste un moyen pour moi de remercier Viorica de tout le travail accompli pour nous et qui a dû lui prendre la journée entière.
Je termine sur un sujet du quotidien : le travail.
Les horaires de travail vont de 8h à 16h-17h avec une heure de pause déjeuner au milieu. En raison des faibles salaires, de nombreux travailleurs se sont expatriés à l'étranger : ils seraient 2 millions aujourd'hui surtout en Italie et en Espagne, plus récemment en France et en Allemagne depuis que ces deux derniers pays ont ouvert un peu plus leur marché du travail aux ressortissants étrangers. Cette fuite touche même les étudiants qui partent parfois à l'étranger (Japon, Australie) du fait de l'existence d'une bourse de 1700€ et de la prise en charge du logement. Le taux de chômage officiel serait de 10% mais il ne tient pas compte des exploitations autosuffisantes de la campagne qui forment une économie souterraine.
Rideau. Fin de l'acte 1.
Tags : voroneț, humor, monastères peints, unesco, villages polonais, fresques extérieures
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