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Vendredi 10 février
La vie ordinaire à la campagne
Dernier réveil en Bucovine. Toutes les bonnes choses ont malheureusement une fin. Alors, bien qu'il fasse encore nuit, je m'imprègne du paysage à travers la vitre de la chambre : un tapis blanc ondoyant sur les courbes des collines, un grenier isolé sous le clair de lune et des conifères debout pointant de leurs cimes un ciel dégagé.
Tout est immobile au dehors. Le silence règne. Un silence reposant et apaisant qui va me manquer dès les prochains jours. L'immuabilité, voilà ce qui représente le mieux ce que je ressens en regardant à l'extérieur. Et d'ailleurs, si vous-mêmes aviez regardé à l'intérieur cette fois-ci, vous n'auriez pas ressenti autre chose car à cette heure, les marmottes hibernent encore pour quelques heures, comme la veille.
Le petit-déjeuner est servi un poil plus tôt qu'hier et en attendant qu'il soit prêt et que tout le monde arrive, je vois Loredana dans une ambiance toujours aussi paisible et calme mitrailler à tout va les commandos ennemis sur l'ordinateur de la maison. Les premières paroles échangées en français ce matin montrent que je ne suis pas le seul qui aurait bien prolongé le séjour un petit peu plus.
A 9h30, notre véhicule personnel est avancé : il s'agit d'un traineau à cheval qui va nous conduire à l'école de Bogdan. Nous partons à 7 et un cheval courageux : notre groupe de 5, Loredana qui rejoint son frère à l'école vu qu'elle est en repos forcé et le grand-père de la famille. Ce dernier va guider le cheval et courir à côté du traineau tout du long ! Il fait -16°C et les couvertures ne sont pas de trop vu notre inactivité momentanée.
Au démarrage, la traction est si forte qu'il s'en faut de peu pour que nous ne basculions en nombre à l'extérieur du traineau, surpris par cette secousse inattendue. Le terrain est vallonné sur la majeure partie du parcours. Le grand-père et son cheval n'ont quasiment aucun répit. Avec sa barre centrale, le traineau est normalement prévu pour deux animaux, la charge doit donc être en partie déséquilibrée.
Nous allons être déposés au sommet d'une colline et à proximité immédiate d'une église orthodoxe en bois. Le grand-père va chercher le gardien pour qu'il nous ouvre la porte. La décoration intérieure est plus modeste que dans les monastères déjà visités mais elle reste riche. Tous les tableaux présents sont financés par les dons des familles des crêtes environnantes à des artistes ou des moines pour qu'ils les peignent. L'iconostase est parée de nombreuses figures et scènes de l'Evangile.
En sortant nous disons au revoir au grand-père et nous dirigeons à pied vers l'école de Bogdan. Celle-ci est en fait une simple maison. En entrant, le hall contient plein de dessins des enfants. Nous nous dévêtons car il fait très bon puis rentrons dans la salle de classe en plein cours de maths. Cela satisfait les élèves paraît-il. 4 niveaux scolaires sont mélangés ensemble.
La maîtresse est une institutrice de Suceava (la grande ville du coin) à la retraite. Plutôt que de rester seule chez elle, elle assure depuis 4 ans maintenant l'école des crêtes, en remplacement du père de Loredana et Bogdan devenu douanier. Pendant la période scolaire, elle est logée chez l'habitant puis retourne à la ville pendant les vacances.
Je ne sais pas pourquoi tous les enfants ont le bonnet car il fait vraiment bon. Les murs sont tapissés de cartes géographiques, des tables de multiplication, des lettres de l'alphabet et de quelques panneaux didactiques divers.
Tant que nous sommes sur place, je vais consacrer un paragraphe à l'éducation. La durée des cours est de 1h et ils sont entrecoupés de pauses de 10 minutes. Il n'y a pas de cantine donc soit les enfants emmènent leur pique-nique ce qui leur fait un peu honte parfois, soit ils reçoivent des sous pour s'acheter à manger, soit ils attendent de rentrer à la maison. Il n'y a pas d'uniforme. L'école est obligatoire jusqu'à 14 ans (collège). Ceux qui continuent, fréquentent ensuite le lycée jusqu'à 18 ans, au terme duquel ils passent le bac. Pour finir, l'éducation supérieure est gratuite dans les universités publiques mais pas dans le privé où il faut débourser jusqu'à 600€ par an pour les meilleurs établissements, parfois même plus. Ceci explique en partie les départs à l'étranger pour échanges du fait de la prime de 1700€ versée en tant qu'aide.
Pour en revenir à cette école, certains enfants ont bénéficié d'une aide de 50% pour s'acheter un ordinateur. Quelques autres, n'ont pas cette chance car leur maison n'a pas encore l'électricité ... A posteriori, je suis triste de ma photo légèrement floue et avec mon doigt devant, j'aurais tellement aimé leur envoyer quelque chose de mieux que ça.
Nous reprenons la route, traversons forêts et monts.
Dans un nouveau hameau, une rencontre avec des jeunes permet de faire ressurgir du passé des accessoires de sport d'une époque pas si lointaine : des skis de bois avec fixations artisanales en plastique ! Les adolescents s'amusent à dévaler la pente d'un champ et à prendre un virage sans bâton autour d'une botte de fourrage. Puis, ils remontent skis à l'épaule.
Cela m'amène à parler des autres sports principaux pratiqués dans le pays. Sans surprise, les sports collectifs arrivent en première position avec la gymnastique : football, basket, volley et hand.
Le reste du parcours, parfois entrecoupé de belles plaques de glace, nous permet de croiser plusieurs traineaux en peu de temps jusqu'à notre arrivée à la "ville" de Lupcina.
Le pompon rouge est utilisé pour écarter le mauvais oeil et est assez répandu. Par contre, il n'y a pas de justification particulière semble-t-il pour le choix de la couleur.
Nous rentrons dans une épicerie pour déjeuner, celle de la demi-soeur de Veronica. Le commerce n'est pas sans me rappeler, par sa configuration, les supérettes centrasiatiques.
A 13h, Mihaï fait irruption dans la boutique. Il revient de la région du Danube où il y avait trois mètres de neige ! Après nous avoir récupérés, il nous conduit jusqu'à une grande ville -Radauți- où nous allons acheter quelques souvenirs et visiter le marché local.
Puis nous nous dirigeons sur notre dernier monastère de l'UNESCO : Sucevița. Il fut édifié en 1584 par 3 frères de la même famille et conserve sa muraille protectrice. La couleur dominante est le vert.
Avec les 3 autres monastères que nous avons visités, ce sont les mieux conservés au niveau des fresques extérieures. Celui-ci se démarque par une oeuvre que l'on ne retrouve pas ailleurs : l'échelle des Vertus ou l'escalade des 33 barreaux nécessaires à l'atteinte du Paradis. A chaque étape, des personnages basculent dans le vice.
[DESCRIPTION DES FRESQUES]
Au-dessus, les vignettes représentent la Genèse : création du ciel et de la terre, d'Adam, des plantes et des animaux, d'Eve à partir de la côte d'Adam ... Lorsque le fond est blanc, c'est la symbolique du paradis. Puis le fond change à nouveau après le péché originel.
Comme ailleurs, on retrouve de nombreuses autres fresques de la Procession de tous les saints à l'Acathiste à la Vierge en passant par les miracles de saints locaux (Pacôme) ou l'arbre de Jessé et les épisodes de l'Ancien et du Nouveau Testaments.
Sous cette dernière fresque, les philosophes et notamment Platon avec toujours son cercueil sur la tête.
Une dernière fresque de cette façade représente Moïse recevant les Tables de la Loi. Le buisson ardent est représenté par un médaillon avec la Vierge et son fils.
L'intérieur, bien qu'en travaux, abrite toujours les mêmes salles et le même agencement : calendrier intégral des martyrs dans le pronaos, salle des tombeaux présentant des fresques de la vie de Moïse, au-dessus la salle des trésors, Chemin de Croix et miracles de Jésus dans le naos puis iconostase mettant entre autres en valeur St Nicolas.
[FIN DE LA DESCRIPTION]
Il ne fait que -11,5°C ce qui est doux par rapport à ce que l'on a connu. Toutefois, notre aventure va se terminer comme elle avait commencé : par un petit flamenco modeste pour éviter que les pieds ne gèlent avec l'immobilité. Et ça va vite !
Nous retournons à l'auberge du premier soir, là où Viorica la cuisinière nous avait chouchoutés et là où j'étais en manque de vaisselle. A présent, je suis temporairement sevré. Comme quoi le grand air peut servir pour soigner les addictions.
Une bonne douche au seau pour se remettre d'aplomb, un p'tit salut à François Joseph dont j'ai récupéré la photo depuis mon article précédent sur le sujet (merci P. !!!) et c'est parti pour un dernier repas complet : biscuits salés, roulés au fromage, borş à la betterave, viande avec sa "salade" puis gâteau à la myrtille. Tout est fait main et tout est délicieux. La preuve ? Je n'aime pas les myrtilles mais le gâteau était trop bon !!!
Tant que je parle alimentation, j'en profite pour glisser avant qu'il ne soit trop tard que les roumains déjeunent en moyenne vers 14h puis dinent plus légèrement vers 18h. Boeuf, poulet et cochon sont très prisés à table. Certains, pour se conformer au rite orthodoxe, pratiquent le jeûne plus ou moins strictement de 2 jours par semaine à l'année entière sans consommer de produits issus d'êtres vivants.
Pour la soirée d'adieu (même si l'on reste encore ensemble), nous recevons un petit présent symbolique : un mini guide de Roumanie. On dit que c'est l'intention qui compte, j'en suis touché comme par l'investissement sans borne de la dévouée Viorica. Si seulement je pouvais lui exprimer toute ma reconnaissance !
Et puis je partage avec le groupe l'équipement ultime fourni par mon sponsor officiel. Vous avez été surpris par la polaire, amusés par la gourde alors ce soir en exclusivité pour vous, voici le savon biodégradable ! Et encore vous avez raté le sac à dos léger et le sursac. Je ne travaille pas à produire du flan dans les instituts de sondage, en vérité, je suis homme sandwich !
A 21h, nous quittons cette agréable chambre d'hôtes pour 1h10 de route jusqu'à la gare de Vama où nous avions débarqué dimanche dernier. La route passe près de sites que nous avons parcourus au fil des jours : col de Ciumârna ou le café qui nous a protégés du froid après la visite de Moldovița. Nous arrivons trop tôt mais avec la neige sur la route mieux valait prévoir large. Après quelques minutes passées dans le minibus, nous laissons Mihaï rentrer chez lui et rejoignons le bâtiment de la gare. La température est descendue à -20°C dehors et malgré la très courte marche, je peux vous dire que mon jean est loin de suffire. Dans le hall, nous dérangeons deux sans-abris qui y avaient trouvé refuge.
Le train doit arriver à 22h55 mais il n'y aura aucune annonce alors il faut sortir dehors avec quelques minutes d'avance. Sur le quai, il y a très peu de réverbères donc on est dans l'obscurité. Un autre jeu est proposé : trouver son wagon sans aucune indication sur le quai et en ayant tout au plus 3 minutes devant soi. Jack Bauer peut aller se rhabiller avec ses 24h chrono. Quant à nous, sans guide, je crois qu'on n'aurait jamais trouvé : d'abord parce que le numéro de voiture est super bien caché dans un billet de deux pages bourré de chiffres (c'est un ticket de pari hippique ou quoi ?) et secundo parce que le numéro de voiture est introuvable sur le train. En outre, il faut également savoir que les wagons sont fermés à clé la nuit et qu'il n'est donc pas conseillé de se tromper. En même temps, il y a tellement de haltes que les opportunités de changer de compartiment ne manqueraient pas. Mais il faudrait alors ressortir... Enfin, nous sommes au bon endroit et c'est bien le principal !
En 2 ans, les prix des billets ont doublé donc les roumains peuvent moins se permettre d'emprunter ce type de train. Cela s'est ressenti à l'aller où la fréquentation n'était pas trop importante (il n'y avait par exemple que 2 personnes dans la cabine de Luminița). Mais ce soir, le train va être plus plein. En seconde, il y a 4 personnes par cabine, en première, deux personnes. Et dans les deux classes, on est très bien lotis.
Nous retrouvons avec une émotion tout juste feinte les superbes draps collector en papier et la bonne couette douillette ainsi qu'une température agréable qui ne cessera d'augmenter. Je cale ma tête et mes pieds (la couchette est juste suffisante pour que je touche les deux bouts), je suis à présent un élément du train et me balance au même rythme que lui. Ca berce !
Tags : traineau, école, skis en bois, supérette, monastère, sucevița, vama, train
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