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Jeudi 9 février
Pour vivre heureux, vivons simplement !
5h du matin, le lit est défoncé, trop de monde a sauté dessus lors de la petite pyjama party de la veille. Comment vais-je expliquer le massacre à Luminița ? Je suis debout car j'ai convenu hier soir avec Veronica de participer à la traite des vaches. C'était sans compter sur un involontaire lapin : on m'a manifestement oublié dans la chambre ... Dehors Bogdan part à l'école à pied avec deux jeunes voisins. Il ne reste plus qu'à attendre qu'une bande de marmottes émergent pour le petit-déjeuner de ... 9h. Chez moi, ce serait presque un record de grasse matinée. A table, tout le monde a une petite mine et est encore dans les brumes matinales. Je ne comprends pas comment c'est possible après une telle nuit, pourtant c'est moi qui me suis levé tôt, non ? Je raconte alors ma mésaventure de ce matin amusant au passage la galerie.
Le départ est tardif car nous ne sommes pas pressés. Le but du jour est de rendre visite à Viorica, une grand-mère sur les crêtes et de l'assister un peu si besoin (NDA : toutes les roumaines ne s'appelle pas Viorica et ce n'est pas toujours la même dans mon blog). Dehors, le thermomètre indique -17°C, ce qui est convenable au niveau du ressenti.
Nous attaquons par une longue montée puis un chemin de crête pour atteindre dans un premier temps un édifice religieux. Chemin faisant, nous traversons une propriété. Chacun est désormais attentif aux autres et ouvre à tour de rôle une barrière puis la remonte après notre passage. Pas de raison que ce soit toujours la même qui s'y colle.
Arrivés à proximité de l'église, Luminița s'écroule dans la neige et fait l'ange. La consistance de la poudreuse étant tentante, je me lance ensuite dans l'exécution de la même figure, avec un peu moins de succès toutefois. A vous de juger :
Mais au moins on s'amuse bien !
L'église en bois est malheureusement fermée. Son cimetière ouvre sur un magnifique panorama. Quelques tables sont aménagées pour partager à certaines occasions un repas avec les défunts comme je l'ai signalé hier. Dans ce lieu de culte, la messe n'est célébrée qu'une fois par mois.
Nous contournons ensuite tout un vallon pour atteindre une ancienne école abandonnée depuis 4 ans. A travers les vitres, nous distinguons encore pupitres, tableau noir, cartes de géographie ... La vie semble juste suspendue mais pourrait reprendre demain. Suspendus, de nombreux bâtiments le semblent également, perchés sur un océan de crêtes.
Enfin, nous nous dirigeons vers le hameau d'Erheşte pour découvrir ses habitants. En arrivant sur place, nous croisons un traineau tracté par deux chevaux qui projettent devant eux de fines particules de poudreuse. Une image de carte postale.
La maison la plus proche est habitée par le "radin" Nicolae, très célèbre sur la crête pour sa pingrerie. Il a 18 vaches donc un beau cheptel mais une étable prête à s'écrouler. A côté, vit le "Père Noël" ainsi appelé pour sa physionomie (longue barbe blanche). Agé aujourd'hui de 70 ans, il aurait eu 18 enfants en tout, même si nombre d'entre eux sont aujourd'hui décédés. Décidément, ils aiment bien le "18" par ici !
Mais le but de notre venue est une vieille femme de 89 ans vivant seule, sans électricité ni eau courante ! Elle s'appelle Viorica. Les voisins et les groupes de touristes viennent la voir, lui apporter un peu de nourriture et lui donner un coup de main pour couper du bois ou chercher de l'eau. Par contre, même si elle n'est pas sortie de sa propriété cet hiver, il ne doit pas y avoir personne mieux informée qu'elle dans tous les environs. Je reconnais là un personnage tel qu'il y en avait dans le village de mes grands-parents. Et il ne faut pas croire qu'elle reste à l'année chez elle car elle va encore régulièrement dehors et descend dans la vallée faire ses courses au "kilomètre 15" !
Son habitation est par contre émouvante : nous l'avons trouvée assise sur son lit, dans une pièce sombre, éclairée par une seule fenêtre. Le mobilier est rare : juste un second lit, une table et un poêle. Ce dernier est responsable du noircissement du plafond. Partout, la peinture s'écaille avec l'humidité. Et une partie du plancher s'affaisse par endroits. Le hall d'entrée n'est pas chauffé (comme souvent). On devine de l'autre côté une pièce similaire à celle où nous nous trouvons et abritant un curieux "objet" dont je vais rapidement reparler. Pour en revenir au hall, il n'y a aucun plafond jusqu'au toit. Du fourrage pouvait ainsi être entreposé au-dessus des deux salles de vie qui l'encadrent.
Viorica n'a pas eu une vie facile : réfugiée dans la région suite à la division de la Bucovine entre Roumanie et URSS, elle y épouse un bûcheron. Mais suite à un accident de travail, il ne peut d'abord plus travailler puis meurt relativement jeune. Alors, elle reprend le métier en plus de s'occuper de la maison. Des 4 fils qu'elle a eus, un est mort à 2 ans, deux autres à la cinquantaine d'un infarctus et d'un accident de la route. Le dernier a voulu l'accueillir chez lui mais elle n'a pas pu tenir là-bas. Alors elle vit ici avec les 3 chats du radin trop mal nourris par leur maître. Et malgré toutes ces contrariétés, elle se déclare heureuse ! Leçon d'humilité et témoignage poignant.
Viorica nous parle également de sa petite fierté avec un brin d'humour : elle est satisfaite à l'instar de nombre d'autres personnes du village d'avoir anticipé et acheté son cercueil il y a 4 ans, avant le décès du croque-mort. Et elle le stockerait chez elle. Etrange coutume !
Au moment de la quitter, nous lui rentrons quelques brassées de bois de chauffage pour le poêle et elle adresse à Luminița une commande : lui apporter des lunettes lors de son prochain passage. P. tente alors de lui expliquer que ce n'est pas possible sans consultation de l'ophtalmo.
Ces hameaux isolés ne sont toutefois pas totalement délaissés puisque des marchands ambulants passent généralement une fois par semaine et changent de bourg tous les jours. Pour les plus chanceux, le facteur passe à pied dans la localité, plus rarement à vélo. Pour d'autres, il faut aller à la poste restante au village le plus proche. Des foires agricoles se tiennent également régulièrement à la campagne pour vendre ou acheter des bêtes notamment.
Nous repartons en sens inverse par le même itinéraire et prenons le temps pour laisser le taureau du radin rentrer tranquillement à l'étable. Il a causé quelques frayeurs dans un groupe précédent paraît-il.
Le retour se passe sans encombre.
L'un de nous repère un phénomène naturel surprenant. P. me demande alors de regarder à 10 mètres autour du soleil. Mais je me figure une distance beaucoup trop courte et suis totalement ébloui. Puis, on me fait regarder de façon nettement plus globale jusqu'à ce qu'un halo apparaisse clairement.
Ce phénomène serait lié à la réfraction de la lumière à travers des cristaux de glace en suspension dans l'air.
Arrivés à l'étape, nous nous adonnons à de périlleuses activités où nous défendons les couleurs de la France et où nous risquons sans hésiter notre vie. Nous avons conservé la seconde mais rater le premier point. Désolé ! On s'est bien dépensé dans ces JO improvisés mais la Roumanie était trop forte.
Tout avait pourtant bien commencé. Nous étions en grande forme avec plusieurs jours d'entraînements intenses. J'avais posé sur ma tête mon bonnet péruvien et m'apprêtais à haranguer l'équipe en empruntant mon discours à tonton Henri IV : "Suivez mon pompon bleu !" (Tonton avait dit : "ralliez-vous à mon panache blanc" à la bataille d'Ivry en 1590 mais seuls les puristes apprécieront la différence de style ... et de noblesse certes). Nous étions en surnombre à 4 contre 3. Mais l'Histoire en a voulu autrement.
Première épreuve : la luge. Nous remontons la piste avec les luges de compétition. La Roumanie démarre avec une performance impressionnante de deux des siens. Mais nous n'avons pas dit notre dernier mot ... C'est à ce moment que s'interrompt l'épreuve avec l'irruption sur la piste d'un troupeau de bovins et, au milieu d'eux, quelques taureaux. Olé ! Pardon : COUREZ !!! Sauve qui peut !!! Les femmes, les enfants et les français d'abord !!! De derrière notre barrière, nous les regardons chahuter puis retourner tranquillement vers l'étable. Les jeux sont alors faits : déboussolés par la menace représentée par ces hooligans, nous ne sommes plus en possession de tous nos moyens. Deux de nos luges ne prennent pas de vitesse les pieds trainants au sol et une troisième à deux personnes fait un tout droit dramatique au premier virage. L'équipage se renverse et va mordre la neige. Il en sortira miraculeusement indemne. La débâcle, je vous disais ! La Berezina !
Impressionnée par cette contre-performance retentissante mais fair-play, la Roumanie nous donne alors des cours de rattrapage à tour de rôle. Voici une photo de P. (merci !!!) qui en témoigne puisque je ne peux montrer le visage de mes compagnons sur mes propres photos :
Nous filons à toute vitesse. Mais juste pour défendre mon titre de Pieds Gauches en or et pour détendre l'atmosphère, je décide de terminer la descente par une petite cascade en me laissant tomber en arrière. La neige amortie largement le choc et les sourires fusent.
La technique étant rentrée à présent, nous enchaînons tous avec une troisième descente réussie et en solo. Pendant ce temps, Luminița, Bogdan et Loredana préparent l'épreuve suivante, l'unique occasion de se racheter. Nous en profitons pour nous remettre d'aplomb et nous remotiver en contemplant des jeux de lumière majestueux autour de la colline par laquelle nous sommes arrivés la veille.
La seconde épreuve c'est aussi de la luge mais version "historique". Les ailes nous poussent : nous allons nous rattraper et redorer le blason de la nation ! Enfin presque tous ... Un sac synthétique et des sacs H.B. ont été remplis de paille, il suffit de s'asseoir dessus et de s'élancer sur la piste qui est peu à peu dessinée. Les plus jeunes athlètes roumains ont du mal dans cette discipline ralentissant leur progression en posant trop les pieds. Par contre, Luminița maintient son pays hors de l'eau avec des descentes précises et efficaces.
Mes coéquipiers se retrouvent à tour de rôle sur la paille et réalisent des performances honorables pendant que j'immortalise chaque passage. Puis, on me réclame pour mon tour. Vous êtes vraiment sûrs ? Je ne suis pas certain d'être très brillant. Mais, je finis par m'exécuter en refusant malheureusement que l'on me prenne en photo. Tel Fosbury à son époque, j'inaugure une nouvelle technique plus efficace pour descendre. Je conserve ainsi mon titre de Pieds Gauches de légende. Je m'élance face à la pente, jambes tendues et légèrement surélevées comme mes compagnons précédemment. Je suis freiné (comme tout le monde) dans la chicane mais ne m'en sors pas trop mal quand, soudain, mon pied s'accroche sur un côté de la piste. Je fais alors demi-tour et me retrouve à dévaler dos à la pente jusqu'au moment où je culbute en arrière. La descente est finie, je n'irai pas plus loin. Ce n'est quand même pas plus fun comme technique ? Enfin, surtout pour les autres qui rigolent, parce que lorsque je me relève, j'ai de la neige dans le cou, le pantalon, les gants, sur le visage ... Presque un bonhomme de neige ou un yéti ! Ma prestation ne fera pas d'émule mais ma descente suivante est attendue avec grand intérêt. C'était sans compter que je ne me produis toujours qu'une fois, la descente suivante sera plus conventionnelle.
Nous retournons ensuite au chaud pour récupérer. Pendant que les autres se douchent dans l'unique pièce qui le permet, j'en profite pour rattraper ce que je n'ai pu faire ce matin : je vais prendre part à ma première traite de vaches. Je sais de prime abord que c'est très difficile et que je risque de me ridiculiser en étant incapable d'obtenir le moindre lait mais ça ne peut pas être pire que sur la luge ... Enfin, je pense ? D'emblée, un peu de lait sort mais à côté du seau. Pour un début, ça peut aller même si ce n'est pas encore gagné. Peu à peu, le geste devient plus précis et le lait atteint le seau. Youpi, nous aurons un verre de lait à partager à 5 demain matin pendant que la grand-mère a rempli un seau...
De mauvaises langues me demanderont ensuite si je n'ai pas du coup trait le taureau. Et si c'était vrai ? Je comprendrais mieux pourquoi la bestiole avait un oeil noir quand elle me regardait. Mais, même dans ce cas, je suis ravi d'avoir été de "mâle" en pis (d'accord elle est nulle ...) car, dans mon imaginaire, je plaçais plutôt cette découverte dans le cadre d'un futur voyage solidaire dans le Ladakh d'ici quelques années. Alors avoir eu l'opportunité plus tôt !
De retour à l'intérieur, Veronica nous propose une nouvelle démonstration de peinture sur oeufs mais avec la technique de la cire en relief. Elle commence aussi par vider l'oeuf mais avec un seul trou cette fois-ci. Elle injecte l'air à l'aide d'une seringue pour expulser le contenu puis lave l'intérieur en le remplissant d'eau et en le secouant légèrement avant de réinsuffler de l'air pour le vider à nouveau. L'opération doit être réitérée trois fois pour un lavage optimal. Elle trace alors les motifs puis applique des "boules" de cire pour créer le relief. Mais c'est elle qui maîtrise tout le processus et fait ce qu'elle veut de la cire. En cette Journée de la Loose, nous avons ensuite l'opportunité de passer à la pratique. Mais, même à 5, nous serons pitoyables : ligne circulaire qui ne revient pas à son origine, pâtés, tremblante du mouton, figures ratées ... tout y passe ! Et pour une fois, Luminița est aussi peu douée que nous. Ca fait un de ces plaisirs !!!
La soirée se déroule tranquillement et j'ouvre un commerce dans "ma" chambre : un taxiphone car c'est la seule pièce d'où on reçoive du réseau. Enfin, si on est chez l'opérateur historique. Je finis par la récupérer après le passage de ma seule et unique cliente ... Elle a le dos tourné, la pyjama partie peut enfin commencer ... Profitez-en parce que quand Maman va retrouver sa chambre la prochaine fois, ça sera à nouveau extinction des feux à 21h.
Tags : crête, ange, grand-mère, traineau, église, luge, traite des vaches, peinture sur oeuf
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