• Lundi 6 février

    Promenons-nous dans les bois ...

    Nous commençons la journée par un petit déjeuner copieux avec notamment yaourt maison, omelette traditionnelle et gâteau au pavot. Finalement, je commence à me demander si le Lulu de ma partie "remerciements" existait vraiment ou si le pavot avait subi un traitement ? Rassurez-moi : vous le voyez aussi sur la photo l'hippopotame mauve ?

    Peu après, Mihaï vient nous récupérer pour nous conduire en haut du col de Ciumârna à près de 1000 mètres d'altitude. Au premier virage de la descente, le véhicule se range. Maintenant il va falloir marcher ! Ou plutôt étrenner les raquettes parce que la neige est plus haute qu'hier et la piste vierge. 6h environ de randonnée par les crêtes nous attendent pour rejoindre la pension suivante. Il fait -15°C mais sans vent donc c'est aisément supportable.

    Départ de la marche

    L'itinéraire longe puis traverse des champs, passe devant des maisons et des greniers à fourrage.

    Tas de fourrage Habitations

    Tout est immaculé, rien ne bouge. Je suis étonné par ces clôtures très longues qui délimitent les propriétés au milieu de nulle part. Quel besoin ? Compensation psychologique de l'époque communiste ? Mais malgré le bornage de sa propriété, le roumain ne se referme pas à l'autre, il reste ouvert et accueillant.

    Contrairement à mon impression, notre guide nous apprend que les parcelles des exploitations restent de taille réduite. A la chute du communisme, chacun a récupéré des terres en fonction de ce qui était inscrit dans les archives d'avant 1940. Il y a donc eu un morcellement des terrains et nombreux sont ceux qui se retrouvaient possesseurs de parcelles dispersées. La plupart les consacrent à l'autosubsistance. Quelques auto-entrepreneurs ont racheté massivement des terres pour se constituer de grandes propriétés agricoles. Ainsi en est-il d'un berger qui a vendu il y a bien longtemps toutes ses terres disséminées pour en acheter d'autres dans la périphérie de Bucarest. Depuis, la capitale s'est étalée, le prix du sol a grimpé avec la densification urbaine et le berger est devenu millionnaire. Il dirige aujourd'hui une équipe de football roumaine. Enfin, pour terminer sur le sujet agricole, je dois préciser que les coopératives ont aujourd'hui totalement disparu pour acheter le matériel en commun ou tenter d'influencer davantage les prix. Et c'est bien là une réaction de rejet du communisme.

    La neige est vraiment impressionnante par sa légèreté et sa souplesse. On croirait presque du sucre en poudre ou de la farine car elle ne colle pas du tout et ne s'agrège pas plus. Il est quasiment impossible de faire une boule de neige avec.

    La vallée que nous contournons par les crêtes et les collines sont habitées par les Houtsoules (population montagnarde d'origine ukrainienne). Les enfants descendent tous les matins à pied pour 2, 4 ou 6 kilomètres vers l'école qui commence à 8h30. Une fois l'école terminée, vers 14h, ils refont le même chemin en sens inverse. Ceux qui habitent trop loin peuvent prendre les transports scolaires gratuits ou se faire héberger par de la famille en ville ou encore rester en pension. Malgré cela, une petite frange des enfants vit encore trop isolée pour pouvoir bénéficier de l'école bien qu'elle soit théoriquement obligatoire jusqu'à 14 ans.

    Notre niveau à tous est homogène ce qui est un grand avantage. A tour de rôle, nous nous relayons pour faire la trace. Au fil des jours, je vais ainsi gagner un titre honorifique roumain (puisque c'est Luminița qui me l'a donné) : le "chasse-neige" ! Je pense que c'est un compliment. Tu confirmes Luminița ? 

    Marcher c'est sympa mais mettre l'ambiance c'est encore mieux alors je décide d'illustrer au fil des kilomètres des expressions imagées. Je me limiterai à deux aujourd'hui pour éviter de terminer à l'hôpital que l'on ne peut rejoindre qu'en traineau à cheval. Heureusement, le programme est libre, comme au patinage artistique, ce qui me permet d'espérer un bon classement en fin de journée. Pour la première figure, je pose la raquette sur un bout de bois planté verticalement dans le sol. Au pas suivant, mon pied reste accroché et patatras ! C'est ce qu'on appelle "faire un soleil". Moi, je préfère dire en toute modestie -n'en déplaise à Louis XIV- qu'il ne peut y avoir qu'un seul Soleil et qu'aujourd'hui, il n'était pas dans le ciel grisâtre alors il fallait bien un volontaire. Bon j'arrête d'être mégalo comme un Ceauşescu et vais présenter la seconde figure de style. Je marche tranquillement, satisfait de ma cascade précédente quand, tout à coup, je bute sur un tronc planqué sous la neige et m'étale à nouveau de tout mon long à quelques centimètres d'un arbre. Si vous ne le savez pas, c'est ce qu'on appelle familièrement "prendre une bûche" ou "toucher du bois". Personnellement, je n'ai pas trop vu la différence entre le réel et l'imagé à cet instant précis. Mais devant la clameur du public, je pense avoir acquis le titre de Pieds Gauches en or et m'arrête là pour aujourd'hui. Ouf, la prochaine expression, c'était "se fendre la poire" ! Et qu'est-ce que ça peut être physique de "faire la trace" de cette façon !

    Faire la trace dans une forêt Dans les bois

    Après la zone dégagée ponctuée d'habitations, nous nous promenons dans les bois, tant que le loup n'y est pas ... Comment ça il y a 40% des loups d'Europe et 60% des ours du continent dans ce pays ? MAMAAANNNN ! Je veux sortir !!!  Quoique pour les ours, je veux bien aller leur passer le bonjour de leurs collègues slovènes désormais expatriés chez nous.

    Au bout de quelques dizaines de minutes, au coeur de la forêt, nous finissons par croiser un énorme engin de transport de troncs. Sa trace est tellement grande que nous pouvons aisément marcher dedans pour moins nous enfoncer. Aujourd'hui, les machines remplacent les chevaux car ceux-ci sont plus coûteux et nécessitent plusieurs personnes.

    Nous profitons de cette aubaine d'une piste tracée pour nous laisser aller et discuter. Nous nous renseignons sur la sylviculture, plus particulièrement l'existence de gardes forestiers et la réduction de la surface des bois en Roumanie du fait de l'intense activité pour le chauffage ou l'export. Nous parlons également des incendies qui se produisent chaque année mais sur de petites surfaces. Dans un premier temps, ce sont les villageois qui sont sur place et interviennent en les étouffant sous la terre puis les hélicoptères prennent ensuite le relais. Pris dans notre discussion, nous ne remarquons pas la bifurcation et suivons les traces dans une grande descente. 300 mètres plus tard, la guide commence à tiquer et à évoquer un retour en arrière. Il faut remonter tout là-haut ?

    De retour dans le droit chemin, nous ne tardons pas à faire une rencontre. Il s'agit d'un houtsoule qui s'enquiert de ce que l'on peut bien faire là avec des engins bizarres aux pieds. Lorsque Luminița lui explique que c'est pour ne pas s'enfoncer dans la neige, il n'a pas l'air très convaincu et doit nous croire fous.

    A la sortie du bois, nous marquons une petite pause pour décaper parce qu'avec l'effort, le grand froid ressenti hier matin est totalement oublié. Aujourd'hui, ça va. Nous sommes à la lisière d'une belle propriété que nous allons traverser avant d'à nouveau re-rentrer dans la forêt. Au fond, les espèces de barrières discontinues sont en fait des étendoirs pour faire sécher le foin à la belle saison.

    Propriété en bord de forêt

    Avant de pouvoir marquer la pause de milieu de journée, il nous reste une bonne dernière montée. Je me cale dans les pas de P. et me laisse entraîner.

    P. dans la côte

    A mi-pente, nous marquons une pause dans une petite clairière. Puis vient la dernière rampe avant de déboucher sur les crêtes et de se ravitailler.

    Dernière rampe Botte de fourrage Hameau

    Nous atteignons alors un petit hameau au sortir duquel des ouvriers travaillent dehors sur les bottes de fourrage. C'est la propriété dans laquelle nous allons demander l'hospitalité ce midi. Les travailleurs sont des employés de la maison. Les propriétaires, un couple de retraités, nous reçoivent chez eux, le coeur dans la main et sans une once d'hésitation. C'est la marque de l'hospitalité roumaine que nous n'allons cesser de rencontrer cette semaine. Pour moi, je retrouve la même chaleur humaine qu'en Mongolie ou au Kirghizistan, ces pays qui m'ont tant touché.

    La politesse veut que l'on se déchausse à l'entrée de toute maison roumaine, mais nos hôtes nous en dispensent lorsque nous esquissons le mouvement. Nous pénétrons dans une première salle froide car non chauffée puis dans la cuisine qui semble être une étuve. La femme et l'homme se réinstallent là. Il s'agit des grands-parents de la famille qui gardent actuellement leur petit-fils de 8 ans dont ils sont très fiers, comme tous les parents et grands-parents du monde. Celui-ci est à l'école en ce lundi, à 6km à pied. Il devrait rentrer vers 16h. Ses parents sont en Grèce pour gagner de quoi finir la salle de bain.

    L'accueil commence par un verre d'alcool issu d'une bouteille dont l'étiquette représente une croix rouge. Le St Bernard n'est pas livré avec, il y a juste son ravito. Je fais honte une fois de plus au pays du Jurançon en déclinant ce verre même si ça ne se fait pas. Mais je n'ai jamais bu. Et puis, il faut bien en laisser aux autres. Une règle de bienséance nous échappe n'ayant pas été avertis : il ne faut surtout pas vider le verre mais laisser un fond sinon la coutume est de le remplir à nouveau. Nous ne l'apprendrons qu'en sortant de la maison et les grands-parents sont plutôt insistants avec leur bouteille. Heureusement, ils finissent par penser aux ouvriers qui travaillent  dehors dans le froid. Le verre ne doit être vidé qu'au moment de partir ...

    Le poêle en céramique contribue à nous cuire comme des homards une fois debout car la pièce n'est pas très grande. Alors on reste assis.

    En quittant la maison, nos hôtes s'étonnent une fois de plus de ce que nous marchions avec des raquettes : comment faisons-nous pour ne pas nous enfoncer avec ? Ils s'inquiètent également des conséquences d'une éventuelle tempête et de notre aspect peu couvert, mais c'est simplement parce qu'on multiplie les couches pour s'isoler.

    A la sortie de la propriété et après avoir traversé un petit bosquet, nous débouchons sur une crête. La vue des deux côtés est bien dégagée, sublime.

    Petit hameau sur les crêtes

    Depuis ce matin, la neige tombait en petits flocons compacts. Désormais, on dirait davantage de petites paillettes tombant du ciel en scintillant, c'est plutôt irréel.

    A présent, nous n'avons plus qu'une longue descente pour gagner le village de ce soir. De temps à autre, nous passons devant une propriété. Ici, une femme nous arrête et parle avec notre guide au sujet de ses enfants dont une avait dû arrêter d'aller à l'école. Désormais elle y retourne. Toujours le même étonnement au sujet de notre moyen de locomotion. Plus loin, une porte s'ouvre derrière nous. Un homme en sort et nous hèle : il faut à tout prix que nous rentrions pour boire un verre. Sortant quasiment de table, l'ensemble du groupe n'y tient pas. Mais l'homme insiste fortement pour le verre et pour avoir un peu de compagnie. Nous décidons de passer un peu de temps avec lui mais sans rien boire. Dans sa cabane, un autre homme est assis sur le lit, hagard, le regard vide. Je lui tends la main pour lui dire bonjour et ne la récupère qu'au moins 15 secondes plus tard ! Et il est incapable d'articuler une phrase. Il cuve. Je m'assieds malgré tout sur le lit à côté de lui pour laisser la place aux autres sur l'autre lit. L'homme hagard, tente de baragouiner quelques mots inintelligibles. En vain. Il finit par aller faire un bref tour dehors. Pendant ce temps, l'homme qui nous a accueillis nous présente des photos de son fils  qu'il voit rarement. Là encore, il en est extrêmement fier. Il réussit également à fourguer à 3 martyrs d'entre nous un "vin chaud" d'anthologie qui laissera une trace impérissable dans leur esprit. C'est dans des moments comme ça que j'apprécie d'être une des hontes de ma région. Le second homme revient dans la pièce, nous apprenons que tous deux sont de bons amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps et qu'ils fêtent ça. On se demande juste depuis combien de temps ? Malgré les propositions de rester manger et dormir, nous décidons de nous esquiver.

    Le milieu d'après-midi approche et le temps se recouvre. Le soleil se cache derrière un léger voile nuageux et prend des airs de lune plongeant derrière une colline et un grenier.

    Soleil voilé

    Derniers pas d'une journée de marche de 6h. La traversée de champs clôturés fait craindre à notre guide de croiser un taureau. C'est déjà arrivé à un membre d'un de ses groupes qui est le recordman mondial du 100 mètres haies (ou barrières) en raquettes. Personnellement, je ne tiens pas plus que ça à battre ce record parce que je suis plus performant pour les chutes et cascades en tout genre. Dans l'ultime bois du jour, des traces de biches et de chevreuils jalonnent notre itinéraire.

    Nous créons la sensation en déambulant dans Moldovița raquettes aux pieds. C'est vrai qu'elles ne sont plus franchement utiles sur ces rues entretenues.  Nous atterrissons dans la chambre d'hôtes d'une nouvelle Viorica et de Stepan, son mari un peu plus effacé. Je continue ma quarantaine et suis en haut, à proximité du balcon. C'est agréable même si avec des températures de -20° à -30° la nuit, je ne suis pas sûr d'en profiter beaucoup. Par contre, je peux jouer des claquettes et en faire profiter mes voisins du dessous. Je fais enfin la connaissance de Lulu, le désormais célèbre hippopotame mauve, et de son acolyte la panthère ... noire (qui a pensé rose ?).

    De retour en bas, nous étudions les moindres détails de la salle à manger. Au-dessus du poêle sont alignés des bocaux sur lesquels sont inscrits des noms roumains d'ingrédients. On en devine aisément certains : sel, thé, sucre ou café mais d'autres nous laissent secs. On fait donc appel à Luminița pour nous dépanner et de là va naître un doute abyssal. C'est ainsi que nous nous sommes lancés à corps perdus dans un débat passionné : le mot vermicelle est-il singulier ou pluriel ? Quand on dit que les voyages forment la jeunesse ... On ne peut pas appeler un ami (Bernard Pivot) parce que les appels internationaux ne sont pas inclus dans le forfait, il n'y a pas de public dans les environs alors il ne nous reste que le 50/50 : 50% pour le singulier et 50% pour le pluriel + 1 abstention. Et la soupe est froide.  Alors, je me dois aujourd'hui de rétablir la vérité qui n'a été que trop longtemps bafouée : "n.m. (ital. vermicelli) Pâte à potage en forme de filament plus ou moins long". Voilà la définition du Petit Larousse.

    Pendant le diner et la soirée, on vit l'actualité en temps réel car le Premier Ministre a fait comme la neige aujourd'hui : il est tombé. C'était paraît-il une marionnette du Président, le couple russe inversé en quelques sortes. L'ambiance est à la joie partagée dans la maisonnée. Nous assistons ensuite à la nomination du nouveau Premier Ministre, ancien Ministre des Affaires Etrangères et Directeur des Services Secrets. Quand on parlait de Russie ... Dans sa première allocution, il annonce que l'exploitation de la mine d'or, d'argent et d'uranium à Roşia Montanǎ se fera impérativement. On prend les mêmes et on recommence ! La parole est ensuite à l'opposition qui critique la nomination du Président et aurait souhaité un technocrate comme M. Monti en Italie.

    Sur les images que l'on nous montre, le Président a de faux airs de Berlusconi. Son surnom en Roumanie est le "Pirate" car il a un oeil plus petit que l'autre. Son discours est empreint de mots et de principes sonnant faux comme l'écoute des revendications du peuple (ça se voit pour la mine par exemple ...), la poursuite de la lutte contre la corruption (heureusement qu'il est là vu le classement de la Roumanie dans ce domaine ...), ... Il fallait oser.

    Quant au Nouveau Premier Ministre, suivrait-il une partie de tennis alors qu'il parle à sa nation ? Ses yeux ne cessent d'aller un coup à droite, un coup à gauche. On n'a pas su qui a gagné la partie du jour au final mais en tout cas, ce n'est pas le peuple. Je n'ai sûrement qu'une partie des données pour parfaitement et objectivement comprendre la situation mais à croiser les informations reçues directement par les personnes rencontrées, celles données par le guide de voyage acheté en France et celles fournies par la télé, je pense être à même d'avoir une vision plutôt réaliste de la situation locale.

    Les analystes prennent ensuite la parole pour décortiquer les événements et discours. Certains sont loin d'être convaincus par le nouveau Chef du gouvernement.

    Pub pour se reposer du spectacle : entre deux spots pour des produits pharmaceutiques, nous voyons la magnifique séquence où les gens soudoyés soutiennent la destruction de leur région pour pouvoir bénéficier des avantages de la mine d'or. Un modèle de chaîne indépendante ...

    Certains vont se coucher, je prends un temps pour rédiger mon carnet de voyage. Je n'ai pas très sommeil ce soir.


    Tags Tags : , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :